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Compte rendu : Questions à Jean-Pierre PETIT sur le nucléaire et ses dangers.

 

Le mot du Scientifique, Michel MARCEL : Le CROPS dans un souci de libre expression et sans connotation politique, conformément à ses statuts, donne la parole à un scientifique de haut niveau : Jean Pierre PETIT, que nous remercions pour son chaleureux accueil renouvelé.

 

Entrevue avec Jean Pierre PETIT fait le 07 mai 2012 à son domicile :

 

   Questions de Monique à  Jean-Pierre PETIT sur le nucléaire et ses dangers

 

– Que faut- il penser aujourd’hui du nucléaire ?

– Le pire.

– Vous seriez partisan d’un arrêt rapide ? En combien d’années ?

– Mais tout de suite. L’audit des réacteurs français a montré que 116 vannes étaient défectueuses. Si on  prolonge ces machines, on ira vers un accident majeur, inéluctablement. Et c’est la même chose dans tous les pays.

– Tout cela est très alarmant.

– Il faut que les gens prennent conscience de tout cela. En 2011 il y a eu Fukushima. Maintenant beaucoup de gens pensent que la situation est sous contrôle.

– Et c’est faux ?

– Totalement faux. Il y a peu de temps, le gouvernement japonais vient d’entrer dans le capital de TEPCO à hauteur de 66 %

– Cela signifie de fait que la société est nationalisée ?

– Exactement.

– Cela signifie aussi que le contribuable japonais va payer les frais.

– Evidemment.

– Il s’agit de décontaminer.

– C’est bien pire. Le projet consiste, entre autre, à construire un mur, souterrain, descendant à une profondeur de 27 mètres.

– Pourquoi ?

– Pour faire barrage à l’infiltration d’eau, depuis la nappe phréatique, vers le pacifique.

– Cette nappe phréatique contiendrait déjà des éléments radioactifs ?

– Quand l’accident de Fukushima est survenu, tout le monde sait que ceci s’est traduit par arrêt de la circulation des eaux de refroidissement du cœur. Les systèmes de secours n’ont pas  pu fonctionner.

– Pourquoi ?

– Il s’agissait de groupes électrogènes et de citernes de fioul qui étaient situés en sous sol. Quand le tsunami est arrivé, il a tout noyé. La température des trois cœurs en fonctionnement, ceux des unités 1 , 2  et 3 a monté. Il y a eu fusion.

– Mais les employés ont refroidi les installations avec des jets d’eau de mer.

– En fait, le contrôle a été perdu presque immédiatement. Les cœurs sont montés à 3000°, les fonds des cuves ont été perforés. Il ne faut pas oublier que dans les réacteurs japonais, les barres de contrôle sont manœuvrées par en dessous, elles montent vers le cœur. Les fonds des cuves sont percés de 48 trous de fort diamètre.

– Cela les fragilise ?

– Bien sûr.

– Mais en dessous de ces cuves il y a des « radiers » de béton de 8 mètres d’épaisseur.

– Le béton constitue une protection complètement illusoire. Il se sublime à 1100°C.

– Sublimer ?

– Il passe à l’état de vapeur. Il y a eu des simulations faites à Cadarache sur des « corium ».

– Fais avec quoi ?

– Avec de l’uranium 238, non fissile, plus des composants représentant les gaines de zirconium des éléments combustibles. Bref tout ce qui aurait pu provenir de la fusion d’un cœur. Le tout était chauffé par induction, et porté à 2500°C et posé sur du béton.

– Et alors ?

– Le film a été diffusé. On voit des bulles de « vapeur de béton » émergeant de cette masse de métal fondu. Le résultat est que ce « corium » s’enfonce dans le béton, en se concentrant, ce qui accroît sa « criticité ».

– C’est quoi ?

– Cette masse est fissile. Cette masse produit de la chaleur, et d’autant plus qu’elle est concentrée.

– Il y a quand même la possibilité d’essayer de refroidir cette masse de métal fondu avec de l’eau.

– Le résultat est inverse. L’eau joue alors le rôle de modérateur et accroît l’efficacité des réactions de fission. Ceci étant, en arrosant les réacteurs, on a produit de la vapeur.

– Radioactive ?

– Plein de substances radioactives. Ce qui s’impose de plus en plus, et  de nombreux spécialistes commencent à penser qu’il y a eu fusion des cœurs, perforation des cuves et descente dans le béton.

– A quelle vitesse ?

– Un mètre et demi à l’heure.

– C’est effrayant !

– Aujourd’hui personne ne sait à quelle profondeur ces masses ont pu s’enfoncer. Le fait qu’on envisage de construire ces barrages souterrains est une indication très forte comme quoi on pense que ces masses fondues ont pu atteindre la nappe phréatique ou sont susceptibles de le faire dans un avenir proche.

– Que se passerait-il ?

– On n’en sait strictement rien. C’est du jamais vu. Il y a un autre indice inquiétant. Les Japonais ont construit des structures légères entourant leurs réacteurs.

– Pour masquer les débris ?

– Pas seulement. On a des vidéos prises la nuit, qui font état d’émissions de vapeur, très visibles, par bouffées. Ces « sarcophages » ne sont là que pour stocker la vapeur émise la nuit. On a tous les plans de ces dispositifs. On aspire alors le contenu de ces hottes, qu’on filtre plus ou moins. Et au final on rejette ces émanations dans l’atmosphère par les cheminées. Mais le jour ça se voit moins. Ca, c’est pour Fukushima.

– Et en France ?

– Il y a eu en 2011 les assises de la commission parlementaire sur « l’avenir d’une commission chargée d’évaluer l’avenir du nucléaire », présidée par deux députés : M. Bataille et M. Vidot. Les auditions ont porté sur des déclarations de gens d’AREVA, du CEA, de l’EDF et de membres du CNRS favorables au développement de l’industrie nucléaire.

– Il n’y a eu aucun débat ?

– Évidemment. Il n’y avait aucun opposant.

– Le résultat de ces assises ?

– La France possède 400 tonnes de plutonium et 300.000 tonnes d’uranium 238, non fissile, résidu de 60 ans d’enrichissement isotopique et de retraitement des déchets acheminés à la Hague.

– Qu’est-ce qu’on fait à la Hague ?

– C’est censé être une usine de conditionnement des déchets envoyés par les étrangers, que les Français réexpédient après « vitrification ».

– C’est à dire ?

– On noie les déchets dans des cylindres de verre. Mais en fait, au passage, les Français récupèrent le plutonium produit.

– Le plutonium qui vient de quoi ?

– Quand un réacteur à fission fonctionne, il est chargé avec 97 % d’uranium 238 et 3 % d’uranium 235 fissile. Celui-ci va « brûler » pendant, disons, 2 ans. Au bout de ce temps, il reste 1 % de ce 235 fissile. Les réactions ne sont pas alors suffisamment productrices d’énergie pour qu’on puisse continuer à faire fonctionner ce chargement.

– Cela donne quoi ?

– Sur ces 3 % d’uranium 235, 2 % sont transformés en radionucléides de vie longue. Mais l’uranium 238 réagit au flux de neutrons et cela produit du plutonium 239. C’est cela qui intéresse les Français. Au lieu de parler de retraitement et de conditionnement, cette usine est en fait, une usine de récupération de plutonium. Lors de cette commission parlementaire, il était bien précisé que ce plutonium ne devait pas être conditionné par vitrification, mais conservé pur, avec le danger que cela présente. Un milligramme de plutonium, ingéré ou inhalé, tue un homme.

– Pourquoi cette dangerosité ?

– La dangerosité des substances radioactives dépend de leur niveau d’activité, de ce qu’elles dégagent, mais aussi du temps dans lequel elles restent en moyenne dans l’organisme humain. Ainsi, par exemple, le tritium est radioactif. Il a une demi-vie de 12 ans. Mais en principe l’organisme humain l’élimine assez vite. Il ne se « fixe pas », sauf accident malheureux (intégration dans l’ADN, etc.).

– Mais le plutonium ? …

– Le plutonium a une extraordinaire faculté à se fixer dans les tissus, qu’il s’agisse d’inhalation ou d’ingestion. On parle alors de « durée de vie biologique », c’est à dire du temps moyen pendant lequel les substances restent dans l’organisme humain. Pour le tritium (en moyenne !) c’est quelques jours. Pour le plutonium c’est … 40 ans.

– Et ce plutonium va où ?

– N’importe où. Il se manifeste surtout en agissant sur des cellules situées à très faible distance. Ce qui fait qu’un être humain peut être « démoli de l’intérieur » (cancer, etc ) sans que cela ne puisse être décelé de l’extérieur avec un appareil de mesure.

– C’est la différence entre « être irradié » et « être contaminé ».

– A la Hague il y a 60 tonnes de plutonium.

– Sous quelle forme ?

– Stocké dans des hangars …. Le stock français total, disséminé un peu partout ( y compris à Cadarache ) est de 400 tonnes. Le but visé, avec le fonctionnement de la Hague, est d’arriver à 1000 tonnes en 2060.

–  Pourquoi ces mille tonnes et cette date ?

–  Pour déployer des générateurs de IV° génération, qui sont en fait des surgénérateurs à neutrons rapides, fonctionnant au plutonium pur. Mais le MOX est déjà une formule mixte (MOX : Mixed Oxydes, c’est à dire un mélange d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium). 25 % des réacteurs français actuels ont des chargements contenant une partie de MOX. Mais ils ne sont pas conçus pour fonctionner au MOX pur.

–  Le chargement de ces réacteurs, c’est quoi ?

– Les cœurs sont constitués par des « éléments » prismatiques, une centaine en général. Sur ces éléments, une partie sont des éléments classiques, et l’autre est faite d’éléments chargés au MOX. L’EPR n’est pas un réacteur à meilleur rendement, etc. C’est surtout un réacteur conçu pour fonctionner avec 100 % de MOX.

– C’est l’étape qui conduit au surgénérateur où le combustible devient uniquement du plutonium. Dans le fonctionnement du surgénérateur, on ne peut plus utiliser de l’eau, qui ralentit les neutrons. On est obligé de passer au sodium, qui brûle dans l’air et explose au contact de l’eau. Vouloir remplacer les 58 réacteurs français par autant de surgénérateurs, c’est de la folie furieuse.

–  A part « s’éclairer à la bougie », quelles pourraient être les solutions de remplacement ?

– Les écologistes « traditionnels » visant la « décroissance », sont des adeptes du projet « Négawatt ». Un projet axé sur la gestion parcimonieuse de l’énergie. Une solution qui ne pourrait être employée à l’échelle de la planète. Actuellement des tas de pays s’équipent avec du nucléaire. La France joue les « exportatrice de MOX ».

– Est-ce qu’il y a d’autres solutions ? Le solaire semble un peu faiblard.

– Ca dépend à quelle échelle on l’envisage. Ca n’est que depuis assez peu de temps que les gens commencent à comprendre les avantages du solaire thermique.

– Alimenter sa baignoire avec un capteur solaire posé sur le toit ?

– Pas à cette échelle. Implanter des centrales de production de très grandes surfaces pour être capable de produire des milliers de mégawatts.

– Avec des cellules photovoltaïques, coûteuses, polluantes ?

– Non, en utilisant cette chaleur pour produire de la vapeur, dans des conduites portées à 220°, sous 150 bars.

– Et cette vapeur, on en fait quoi ?

– On l’envoie sur les mêmes turbines que celles qui équipent les centrales nucléaires. Il y a des tas d’autres formules. On a vu récemment que l’énergie solaire permettait à des bactéries, à des micro-algues, de produire du pétrole, en absorbant le gaz carbonique produit par une usine de ciment et en produisant de l’oxygène.

– Des plantes artificielles ?

– C’est de la photosynthèse industrielle.

– Mais ce pétrole, en brulant, produit du CO2 ?

– On le réinjecte dans le système et les micro-algues font leur travail.

– Autrement dit, toutes les solutions sont là ?

– Tout cela coûte de l’argent. Si on décidait de mettre dans tous ces problèmes le dixième de ce qu’on dépense dans une guerre mondiale, les problèmes seraient résolus en quelques années.

– Mais ça veut dire que tous les pays se couvriraient de systèmes de capteurs solaires ?

– Pas nécessairement. Il y a un autre paramètre que les gens commencent à connaître, concernant le transport de l’énergie électrique à grande distance, sur des milliers de km. Actuellement, on transporte le courant en alternatif en 400.000 volts à une distance qui ne peut pas dépasser 500 km. Au delà les pertes croissent de manière ingérable.

– Au delà de 500 km, on fait quoi ?

– On transporte en courant continu haute tension, sous 400.000 volts et plus. Les pertes sont alors de 3 % par mille kilomètres, et ce courant peut être transporté par voie sous marine. La France expédie ainsi 2000 MW vers l’Angleterre à partir de sa centrale de Gravelines. Il y a 70 km sous l’eau. Le record actuel : 400 km depuis la Norvège vers le Danemark. Dans le monde 180.000 MW sont ainsi acheminés.

– On a des machines qui produisent ce courant continu sous une telle tension ?

– Non, on le produit en alternatif, et « on le redresse ». On transforme l’alternatif en continu. Au départ on utilisait des redresseurs à vapeur de mercure. Aujourd’hui ce sont des « thyristors ». Les Chinois jouent cette carte, car chez eux, les distances d’acheminement dépassent très vite 500 km. Idem pour les Canadiens, qui font descendre leur courant depuis le nord du pays vers le Québec, en traversant le Saint Laurent. Idem pour les Brésiliens, etc.

– Il y a aussi des formules « à la Jules Vernes » : installer des centrales solaires sur d’immenses barges flottantes, ancrées au large, par exemple en face des côtes provençales. On peut dresser des éoliennes sur ces barges, escamotables en cas de tempête. Sous les barges, des hydroliennes. Ces barges font aussi office d’écosystème artificiel, de « récif ».

– Et au cas où une barge est endommagée par une tempête, et quand ces barges atteindraient leur « fin de vie », comment les « démantèle-t-on » ?

– On  les coule, et ça fait le bonheur de petits poissons, et des coquillages, à condition d’avoir débarrassé ces barges de tout polluant. Il y a cette solution, mais il y en a mille autres. La distance entre l’Islande et l’Ecosse est de 1400 km. 90 % du pays pourrait faire l’objet d’installations géothermiques. L’Islande a du géothermique, de l’hydraulique et de l’éolien

– Mais, pour l’hydraulique il faut des chutes d’eau ?

– On pense à des barrages alpins. Mais en fait l’électricité canadienne est produite par 8-10 mètres de dénivelé, par des dénivelés très modestes. Seulement, ça court sur des distances importantes. L’Islande est « l’Arabie Saoudite » du renouvelable…. Complètement inexploité. En fait, partout dans le monde, les gens ont des visions étriquées et fausses. Il faut lancer des Grands Travaux, sinon le nucléaire finira d’empoisonner la Terre. Quant aux déchets, ils restent pour le moment gérables. Il faut le stocker en surface et s’arrêter d’en produire de nouveaux. Au contraire, les nucléopathes abondent de projets plus délirants les uns que les autres. J’ai évoqué les surgénérateurs. Mais les fabricants de réacteurs nucléaires de sous marins (40 MW) ont trouvé un réemploi : immerger de tels réacteurs dans la mer, devant les côtes pour alimenter les ports et les villes côtières. Il y a aussi les fous qui envisagent les « réacteurs domestiques », implantés en pleine ville.

– Et la filière du thorium ?

– Son seul avantage c’est l’impossibilité d’emballement. C’est comme «  faire brûler du bois mouillé ». Mais c’est techniquement très compliqué, coûteux et ça produit des déchets.

– Et la fusion ?

– ITER est un tokamak, instable comme chacun sait. Dans ITER circulera un courant de 15 millions d’ampères, se bouclant dans le plasma. Dans le phénomène bien connu de « disruption », ce bouclage s’interrompt. On peut comparer cette boucle de courant à « un dragon qui se mord la queue ». S’il se lâche, il ira mordre la paroi.

– Ca donnera un coup de foudre ?

– Oui, une telle intensité sur une surface de la taille de la paume de la main. Le tout se déclenchant en un millième de seconde.

– Est-ce que ça serait dangereux pour le voisinage ?

– La machine n’aura même pas le temps d’être dangereuse. Elle sera gravement endommagée avant.

– Avant quoi ?

– Avant qu’on y mette du tritium. Glen Wurden, directeur de la fusion à Los Alamos, m’a dit au téléphone « si on m’offrait une maison à côté d’ITER, je viendrai y habiter tout de suite. Car la machine sera bousillée avant qu’on puisse y mettre du tritium ».

– Autrement dit ce projet, c’est de la connerie ?

– Exactement. Vous ne trouverez aucun membre d’ITER Organization qui accepte de débattre sur ce sujet. Ca commence à se savoir, en dépit des avertissements lancés en juin 2011 au sein de la commission européenne. Les crédits ont été accordés, par des gens qui n’ont pas lu. Autant essayer d’arrêter un train en marche, à la main. En 2011 on avait calculé que si on avait voulu stopper complètement le projet ITER, cela aurait coûté 3 milliards d’euros d’annulation de contrats. Mais il aurait mieux valu avoir une ardoise de 3 milliards d’euros, qu’un fiasco de 50 ans ou plus.

Merci beaucoup Jean-Pierre.

 


Jean-Pierre  PETIT , ancien directeur de recherche au CNRS,

physicien des plasmas, spécialiste de MHD.

 

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 Le pot de terre qui se bat contre les 2 pots de fer

 

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Jean Pierre Petit et Monique le 07 mai 2012 à son domicile

 

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Jean Pierre Petit en compagnie de Michel B. et Gilbert

 


 

Les Sites internet de Jean-Pierre Petit :

www.jp-petit.org

www.savoir-sans-frontieres.com

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